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Volume n°1.0.1 Exode 192 pages - Volume n°1.0.2 Exode 148 pages - Volume n°1.0.3 Passage 192 pages
EXTRAIT D'EXODE VOLUME n°1.0.1

7 juin
Cela fait déjà trois jours que je marche.

Je suis un chemin étroit à travers la montagne. En marchant, je repense à cette journée qui a suffi pour bouleverser toute une vie, pour que mes plus beaux souvenirs s’écroulent et ne deviennent que champ de ruine, et gravats de mémoire. Quand soudain, une pierre roule sous mes chaussures et me fait trébucher. Levant les yeux, je vois la falaise de calcaire. Par endroits, des arbres,          accrochés à la paroi rocheuse,      sont suspendus dans le vide.      Derrière moi,       plongée dans les nuages, la vallée a totalement disparu. La pente est raide.               Le chemin qui sillonne dans le pierrier est entravé par de gros blocs de pierre. Il est devenu de plus en plus difficile d’avancer.
Les cris roques des choucas percent les nuages. Dans un ballet fantomatique, les oiseaux noirs apparaissent puis s’évanouissent comme des ombres fugitives.
Je m’assois sur un rocher et je contemple le paysage.                             Je sors de mon sac à dos un bloc note de voyage pour écrire :  

Une ligne d’encre tracée sur une feuille de papier s’efface sous la pluie qui l’emporte avec elle. Qui gardera en mémoire cette ligne : le pinceau, le papier, ou la pluie ?

Les premières gouttes de pluie interrompent ma rêverie. Je reprends le chemin, en longeant la falaise, le pas prudent sur les pierres glissantes.

Le ciel est chargé.  Il y a une atmosphère étrange,                                     presque menaçante.

La crête des montagnes,        balayée par un vent violent, a complètement disparu dans les nuages.

Un éclair,              suivis d’un claquement de tonnerre.
Et pour autant, je ne me soucie pas de l’orage,
ni même du danger.                           Je ne peux considérer ce paysage                  que comme un tableau.

Je me sens ainsi transporté dans une esquisse,                         comme déporté dans un lavis noir et blanc.
Au bout d’une heure de marche sous une pluie froide et vive, complètement trempé, j’arrive enfin au refuge. C’est une grande bâtisse de trois étages. Sa façade grise en pierres de taille lui donne un aspect immuable, intemporel, comme si rien ne pouvait remettre en cause sa présence dans ce paysage. Un petit parterre pavé mène jusqu’à la porte d’entrée. Je m’avance et je regarde à l’intérieur par la fenêtre. Il semble n’y avoir personne. Je frappe mais sans attendre l’autorisation d’entrer, je pousse la porte pour me mettre à l’abri de la pluie qui tombe en rafales de plus en plus violentes.

L’endroit est étrange. Ce n’est pas ce que l’on s’attend à trouver quand on pense à un refuge. Près de la porte, il y a un immense tableau, rappelant ceux des églises. Il représente deux religieuses dans un sous-bois. L’une se tient debout, la seconde, à genoux, semble en dévotion. Il y a pourtant dans son regard autre chose que de la piété. Sous un masque d’apparente soumission impassible, brille celui de la colère. Tout près, mon regard se pose en suite sur la gravure d’une scène de chasse. Des chiens encerclent un loup, en arrière-plan des chasseurs armés de longues lances arrivent en courant.  
Je suis étonné par la quantité impressionnante de photos, de tableaux accrochés au mur. Tandis que d’autres bibelots sont simplement posés à même le sol. Dans la profondeur des nombreux miroirs, les objets se multiplient, accentuant encore plus l’impression de bric-à-brac. Au centre de la pièce s’impose une grande table monastère. A gauche incrustée de motifs florales en or, une commode noire sur laquelle sont alignés des livres anciens aux reliures usées, une pile de Vogue Magazine des années 90, ainsi qu’une photo encadrée, représentant un jeune couple. L’homme est habillé d’un costume, son visage est flouté. La femme vêtue d’une longue robe noire, porte un sautoir qui tombe sur sa poitrine. Je remarque parmi tous les objets de la pièce, une machine à écrire, Olivetti studio 44 bleu claire, posée sur un buffet parisien. Aux murs et au plafond, des fleurs artificielles suspendues offrent une toile de fond mi-naturelle, mi-baroque. Et enfin, en majesté, trône une immense cheminé dont le manteau est habillé de panneaux en bois. Sculptés de motifs géométriques, ils rappellent ceux des yourtes Mongoles. L’éclairage est limité à deux d’abat-jours fixés au mur et un lustre orné de pampilles en cristal qui défragmentent la lumière pour donner une teinte chaleureuse à la pièce.
Soudain, des bruits de pas, quelqu’un vient. Une femme, la silhouette élégante, apparait. Chaque détail de son visage présente une singularité. Sa bouche dessine un trait horizontal. Ses yeux sombres soulignent un regard pénétrant et mystérieux. Le teint clair de sa peau, presque blanc, accueille l’obscurité de longs cheveux noirs.
Ses joues creuses, son nez droit et aigu, offrent à la lumière l’austère beauté d’une plastique sculpturale.
             Je m’empresse de m’excuser
                                « Je me suis permis d’entrer…
Elle m’interrompe d’une voix sèche :
-  
Vous avez bien fait ! Avec le temps qu’il fait.

Me montrant un canapé recouvert d’un plaide écossais, elle m’invite à venir m’asseoir pour profiter de la chaleur de la cheminé.
Assis, je poursuis l’inspection de la pièce. Je remarque une croix celtique de granite d’environ un mètre appuyée contre le mur. Il y a également sur une table basse un électrophone Teppaz et des vinyles 45 tours, Miles Davis, Keith Jarrett, Paul Bley « Open, to love ». 

Attisé et alimenté par une grosse bûche, le feu crépite de plus belle dans la cheminé.

-  
Un thé, un café ? Me propose la proprio du refuge.
-   Un thé, avec plaisir.
-   J’ai du thé vert et du thé noir.
-   Du vert, s’il vous plaît.
-  

C’est du Long-Jing ce qui signifie...
le puits du dragon*.
* L’origine du nom vient d’un village où il existait un puits qui donnait de l’eau même en périodes les plus sèches. Selon la légende, un dragon, symbole de force et de bonheur, vivait dans ce puits. On raconte également que l’empereur Qianlong fit boire ce thé à l’impératrice alors souffrante et qu’elle fut guéri dans les jours suivants.
    

     Mais peut-être connaissiez-vous cette légende ?
    
-   Non, je l’ignorais.
En l’écoutant, je contemple un tableau représentant une jeune femme. Puis je me tourne vers la propriétaire du refuge, avant de regarder alternativement les deux. « S’agit-il de la même personne ? 
La même bouche,
           les mêmes yeux sombres au regard mystérieux,
la même forme de visage, formant un triangle équilibré, la peau blanche.
               Si il s’agit vraiment de la même personne, combien d’années les séparent ?
Plus j’observe le tableau, plus je me rends compte à quel point cette femme à quelque chose qui fait penser à              Gabrielle*. 
L’élégance de sa main portée près du visage,            la blancheur éclatante de sa peau,           le noir ivoire de ses cheveux,      exaltent une volupté,       mélange d’exotisme japonisant        et de lyrisme classique. »


M’interrompant dans mon errance, la propriétaire propose de me conduire jusqu’à ma chambre. Depuis l’escalier de la pièce principale, dans une succession de couloirs sinueux et de demi-nivaux, les étages supérieurs donnent l’idée d’être un véritable labyrinthe. Le champ de vision restreint m’empêche de comprendre le plan du bâtiment.

Alors que la pièce principale avec toute ses décorations, ses objets accumulés semble être l’incarnation physique de la mémoire de la bâtisse et de son habitante, les murs des couloirs ne comportent aucun tableau, aucune photographie rien qui ne puisse permettre de se repérer. Seuls les numéros sur les portes des chambres donnent une indication pour se situer, curieusement ceux-ci indiquent des heures :
1re heure, 2e heure, 3e...
Quand nous arrivons devant le n° 16,  elle s’arrête et ouvre la porte.
« Voilà, votre chambre ! »


L’éclairage de la chambre est tamisé par un voilage de lin qui filtre la lumière extérieure. Les couleurs des murs et du plafond sont de deux nuances de blanc. Le parquet, la table et la commode sont en bois patiné. Une liseuse tapissée d’un tissus gris aux motifs géométriques blancs, ainsi que le lit King Size couvert d’une sobre couette blanche,        inspirent la simplicité et la volonté d’une esthétique épurée. Tous les éléments de la pièce semblent disposés pour répondre à la beauté de l’ensemble. Les murs sont nus à l’exception d’un tableau, au format vertical qui s’élance du sol vers le plafond, faisant penser à une calligraphie abstraite sur un papier de Riz. Un fond blanc mat est traversé par une seul ligne d’encre noir. Ici, le trait ne se lit pas comme un contour autour d’une forme, ou comme une séparation. Je voie plutôt un trait, reliant deux espaces,                deux espaces chargés de silence.
Dans la salle de bain, un bol taillé dans un galet de granite noir posé sur un meuble de bois, sert de lavabo. Une goutte d’eau coule de la robinetterie, son rythme comme une horloge égraine les secondes. Enfin, dans un vase de terre sont disposées des fleurs sèches aux couleurs pastel. Là encore, on retrouve la même recherche de simplicité, le même équilibre choisi pour la chambre.
Fatigué par cette journée de marche, je m’allonge sans tarder sur le lit.
Une heure, ou plus, s’écoule. Et c’est, un bruissement d’eau, sur ce qui me semble être une tôle, qui me réveille et éveille ma curiosité. Je me dirige à la fenêtre, mon regard parcours le jardin pour trouver l’origine de ce bruit. Il fait presque nuit, les arbres dessinent des lignes sombres sur le fond d’un ciel gris foncé. Je pense que pareille vision ferait un motif parfait pour un tableau.
C’est à cet instant qu’apparaît la silhouette d’une femme qui se glisse comme par effraction dans ce paysage nocturne. Elle marche sous la pluie, jusqu’à ce qui semble être une cabane. Rien n’est certain, mais il me semble qu’il s’agisse de la propriétaire du refuge. La lumière d’une faible ampoule révèle ces cheveux noirs sur sa nuque. Vêtue d’un peignoir blanc qu’elle laisse glisser sur ces chevilles, je devine sa peau claire, presque blanche comme du lait, elle pénètre, nue, dans la cabane. Hébété, je contemple la scène.
Rompant le charme raffiné d’un pareil instant, la fraîcheur de l’air me rappelle combien les premiers jours du printemps sont encore froids en altitude. Je regagne donc mon lit pour y retrouver une moelleuse chaleur. Très vite, je sombre à nouveau dans un profond sommeil.

8 juin

Le lendemain matin,  je me précipite vers la fenêtre, afin d’être certain de n’avoir pas rêvé. Je découvre le jardin semblable à mon souvenir.
Sur un tapis de mousse, une allée de dalles en pierres espacées de façon régulières sillonne entre des arbres majestueux
...
11 juin - 20 heure
Je rejoins •h•••••• au salon

À mon arrivé dans le salon, je suis surpris de trouver un homme assis dans le fauteuil près de la cheminé. Les jambes croisées, les pieds posés sur la table basse, il est habillé d’un pantalon Levis usé aux genoux, d’une chemise bleu froncé et porte des sneakers blanches. Les Joues creuses, les pommettes saillantes, les cheveux courts, le front dégarni, une barbe de plusieurs jours, le teint cuivré par le soleil, lui donnent l’aspect d’un aventurier. Je le salut. Plongé dans la lecture d’un livre, sans doute, ne m’entend-il pas ? J’insiste une second fois. Il tourne alors son regard en ma direction, se lève, me répond d’un simple hochement de tête, puis il quitte la pièce.
C’est à cette instant que •h•••••• arrive. La robe noire qu’elle porte, est une ombre d’où jaillis la clarté incroyable de son visage.
-    Vous avez pu parler à X•T• ? Me lance-t-elle.
-    Non ! Qui est-ce ?
Avant de me répondre, je sens son hésitation.
-    Un fantôme.
Je ne peux m’empêcher de rire
-    Un fantôme ? C’est une blague !
-    Pas vraiment.


25 juin
De retour dans mon atelier.


En quête de trouver un sens, j’ai marché. Et au fil des jours, j’ai trouvé ce que je cherchais.

De retour dans mon atelier,
             devant une toile blanche.
                                                     Je trace un cercle.

Ce n’est pas les yeux qui guide ma main.
                         Ma main est guidée par le ressenti.



Je comprends à cet instant que la peinture à laquelle j’aspire est là, toute proche, devant moi. Elle n’exalte pas les passions, les concepts, milite pour aucune cause. Elle nous fait oublier les bruits inutiles. Elle nous fait, simplement, rentrer en silence.
Chapitre Peinture
Chapitre Numérique
Chapitre Edition     :    Fragments de mémoire
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